Table ronde sur « Entre devoir d’aviser et aide, quelle marge de manœuvre pour les professionnels, quelle protection pour les individus ? »
Débat entre des professionnel-les de l’enfance :
Programme :
Bilan de la Table ronde :
Comme à son habitude, le thème de l’action a été voté et choisi par les membres de Trait d’union en février 2015 lors de l’Assemblée générale. Ces derniers désiraient débattre de la tension dans laquelle peuvent se retrouver les professionnels de la santé et/ou du social entre ce qui avait été nommé lors de notre AG le devoir de discrétion et l’obligation de dénoncer dans le cadre de la protection de l’enfance. Après quelques réflexions et des premiers échanges avec des intervenants de la protection de l’enfance, la forme d’une Table ronde a été retenu autour du titre : «Entre devoir d’aviser et aide, quelle marge de manœuvre pour les professionnels, quelle protection pour les individus ? ». Fidèle à un de ses objectifs de promotion de l’interdisciplinarité, Trait d’union a convié au débat des acteurs de l’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant, du Service de l’enfance et de la jeunesse et de l’Education familiale.
Premier grand succès de la soirée, plus de 50 personnes se sont déplacées au restaurant de l’Epée. A l’aube de fêter les 10 ans de notre association, ce fut l’occasion de rappeler les objectifs de Trait d’union et d’encourager les non membres à s’inscrire et participer à la défense de nos valeurs. Celles de convivialité et de collaboration interprofessionnelle ont été évoquées en invitant les participants aux échanges de cartes de visite et à oser le tutoiement.
Le rappel des origines de cette action a permis de préciser les intentions du débat et les inscrire dans l’objectif de Trait d’union de promotion d’une action sociale, qui permette de garantir la défense des intérêts des bénéficiaires et de la pluridisciplinarité, en mobilisant la marge de manœuvre du professionnel dans le cadre des missions de son institution pour que la protection de l’enfance ne se retourne pas contre nos enfants. Deux grands risques ont été pointés. D’un côté, le développement d’une politique de signalement systématique qui ne servirait que le souci de protéger nos institutions et non les enfants eux-mêmes. Le danger serait que les parents ou les enfants eux-mêmes ne sachent plus où venir demander de l’aide sans risquer d’être dénoncés ou alors que les professionnels dénoncent à tout va de peur d’être poursuivi pour non-assistance à personnes en danger. D’un autre côté, le développement par les professionnels d’une croyance idéalisée dans les compétences des familles, à faire face seule à la difficile mission d’éducation ou dans les capacités des enfants à faire preuve de résilience face aux pires situations de négligence. Le danger pour les professionnels serait de devenir complice ou de se taire de peur de déclencher une grosse machine judiciaire
Après une brève présentation des différents intervenant-e-s, la parole leur a été donnée pour une première intervention. Madame Delphine Queloz, Présidente de l’Autorité deprotection de l’enfant et de l’adulte et Juge de paix a tenu à préciser le cadre juridique de l’intervention de l’autorité de protection et à présenter quelques chiffres, afin de se faire une idée du nombre de situations traitées par la Justice de paix. Vu l’ampleur de la tâche, elle a relevé l’importance de la collaboration avec les professionnels de la santé et du social dans le traitement des différentes situations qui leur sont signalées, tout en précisant les tâches et fonctions de chacun. Ce fut l’occasion de préciser les différentes modalités en lien au signalement de situations préoccupantes selon le niveau d’urgence, mais également les différents niveaux de responsabilité dans ce devoir d’aviser en fonction de son statut (professionnels, citoyens, etc.). Une brève comparaison avec les cantons voisins a permis de constater que le cadre juridique peut évoluer. Quelques exemples tirés de la pratique ont permis aux membres de se faire une idée des situations annoncées, mais également des démarches entreprises par la suite par l’autorité.
Monsieur Stéphane Quéru, Chef du Service de l'Enfance et de la Jeunesse a inscrit son propos dans la continuité de celui de l’autorité de protection. Il a tenu à préciser dans un premier temps les raisons et les origines de la création du secteur permanence (Intake) en 2006. Il s’agissait de faire face à l’augmentation du nombre de situations annoncées dans les différents secteurs du service et de maintenir en parallèle de l’exécution des mandats de protection confiés aux intervenants de protection de l’enfant, un secteur de permanence, permettant l’accueil, l’évaluation et le suivi de manière volontaire et sans mandat dans un temps déterminé de situations nécessitant une intervention. Les différentes tâches de l’Intake, ainsi que les limites de l’intervention sans mandat ont été détaillées. Ce fut l’occasion de s’arrêter sur plusieurs éléments juridiques ou procéduraux présentés dans le document « Protocole de dépistage et d'orientation de la maltraitance envers les enfants (0-18 ans). ». (cf. document) A l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 2015, la Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS) a mis en ligne ce document réactualisé à l’intention de tous les professionnel-le-s ou bénévoles qui travaillent avec des enfants.
Madame Cristina Tattarletti, Directrice de l’Education familiale et pédagogue curative a quant à elle tenu à élargir la question de la responsabilité de tous à celle de l’éducation des enfants dans une logique collective. Si certaines situations doivent faire l’objet d’un signalement aux autorités ou être accompagnées à s’annoncer auprès du SEJ, elle a soutenu le souci que chacun puisse se positionner comme « éducateur » dans un premier temps auprès des enfants, en tant que parents, grands-parents, proches, voisin, citoyens, travailleurs sociaux, enseignants, médecins, etc., avant d’entrer dans une logique de signalement ou de renvoi vers les professionnels de l’aide contrainte. Les nombreuses prestations de l’Education familiale s’inscrivent dans la logique de responsabilisation qui voit l’éducation des enfants comme étant l’affaire de tous. Elle a défendu une belle analogie entre le thème du débat du soir « Entre aviser et aider » et sa conception de l’éducation, qui pour elle regroupe les deux même dimensions celle d’« accompagnement » vers l’autonomisation responsable des enfants et des parents, mais également celle d’« avertissement » en termes de limites à poser, ou à ne pas dépasser dans une logique normative mais nécessaire au vivre ensemble. Elle a défendu le fait de ne pas opposer ces différentes dimensions. En s’appuyant sur les grands principes de l’encouragement précoce retenus par la Commission Fédérale pour les questions de Migration (CFM) (2009) ou encore développés lors de la journée cantonale fribourgeoise «Je participe» (2015) (cf. document). Elle a en particulier soutenu l’importance du travail de réseau et le principe de la coéducation.
La présentation claire et synthétique des intervenant-e-s a fourni de précieux renseignements à l’assemblée, tout en laissant du temps pour le débat.
Tout d’abord, plusieurs questions de clarification ont pu être traitées quant aux procédures de signalement : existence et accès à un service de piquet en cas de situation d'urgence via la police, procédure et implication des directions de service en cas de signalement, droit à l’anonymat, précautions prises par les autorités dans l’instruction, tension entre protection des données et devoir d’aviser. Ces éléments de clarification ont contribué, nous l’espérons, à déconstruire quelques représentations quant à l’intervention des autorités et des services à mandat.
Par la suite, le débat s’est ouvert sur les risques de rupture de collaboration entre les parents et un prestataire éducatif important pour l’enfant en cas d’avis (crèche, accueil extrascolaire, etc.). L’implication et la responsabilisation des directions dans la démarche de confrontation ont été soulignées pour diminuer le risque de conflit ouvert et direct avec le personnel qui s’occupe directement de l’enfant. Le risque de stigmatisation, de désappropriation des compétences parentales a été traité comme conséquence possible d’une intervention sous contrainte au risque de déclencher une démission ou au contraire des réactions violentes des parents. Sans nier ce risque, l’importance de communiquer et de travailler dans la transparence même confrontante a été relevée comme une stratégie à défendre pour rester dans le lien. La problématique de signalements tardifs à la veille de la majorité de certains jeunes a été relevée comme un élément complexe pour les services de l’enfance qui se retrouvent souvent sans solution et face à des logiques d’exclusion multiples. Une coordination plus précoce de mesures de soutien, contraintes ou non, a été défendue comme un élément pouvant éviter des mesures lourdes comme le placement souvent peu efficace à l’âge de l’adolescence.
L’assemblée, encouragée à présenter les initiatives pour articuler ce devoir d’aviser et celui d’aide et de soutien, a pu profiter d’un regard complémentaire à l’aide contrainte, par le biais de la présentation entre autre de la pratique des travailleurs sociaux hors mur. Pour le coup, la démarche d’approche des jeunes ou des familles se base sur la création du lien comme facteur de mobilisation des individus à développer leurs stratégies de protection, dans une logique de réappropriation de leurs vies. Sans vouloir mettre en concurrence les approches, le débat s’est alors prolongé sur leur complémentarité et sur le nécessaire travail d’inter-compréhension entre les professionnels.
D’une manière générale et comme conclusion, le travail de « réseau » et de « raison » a été défendu. La nécessaire obligation de s’arrêter pour réfléchir aux situations préoccupantes en sortant de son isolement a été encouragée. L’analyse de ces situations doit alors être spécifique, unique et contextualisée. Seule une approche non standardisée et partagée permet au professionnel de rester acteur et responsable de son intervention. Le temps de l’apéritif fut l’occasion de prolonger les échanges dans une ambiance constructive et toujours appréciée. Nous remercions vivement l’ensemble des intervenants et des personnes qui ont permis la réalisation de cette action. Nous encourageons les membres de Trait d’union, présent ou non à la Table Ronde à nous faire part de leurs commentaires quant à cette action ou à poser des questions complémentaires en lien avec la problématique, nous tenterons de les relayer à nos différents partenaires. Pour prolonger votre réflexion, nous vous proposons quelques lectures.